Géographe spécialiste des phénomènes migratoires, Marc-Antoine Frébutte a travaillé sur l’exploitation illégale des migrants en Italie.
Auteur de plusieurs articles, ouvrages et contribution, La tarentelle noire, son premier roman permet de rendre compte de la situation d’une manière moins formelle et à un public plus vaste. Interview.
Si tu veux survivre, tu reportes les coûts où tu peux, c’est-à-dire sur ceux encore en dessous de toi dans l’échelle du rapport de force sociale.
Migrations et dérives de l’industrie agroalimentaire : rencontre avec Marc-Antoine Frébutte
Marc-Antoine, qui êtes-vous ?
Lillois de naissance, je suis diplômé en géographie de l’université de Zurich. Mon intérêt pour les phénomènes migratoires m’a amené à voyager aux quatre coins du monde pour conduire des recherches (Italie, Serbie, Canada, Autriche,…), et m’a permis de me pencher plus spécifiquement sur le cas des travailleurs migrants dans l’agro-industrie dans le sud de l’Italie, thème principal de ce roman.
Vous êtes l’auteur de plusieurs publications scientifiques, pourquoi un roman ?
Mes recherches m’ont amené sur différents terrains et m’ont permis de travailler sur des situations complexes, ce qui est particulièrement intéressant. Mais en général, les publications scientifiques touchent un public très limité, travaillant également sur le sujet. Pourtant, ces recherches m’ont permis de rencontrer des personnes atypiques aux vies incroyables. Ce roman répond au besoin de raconter l’histoire d’un individu pour sortir de cette impression d’ensemble, souvent anonyme, autour du processus migratoire. L’idée de ce roman est aussi venue de la volonté de « vulgariser » mes recherches pour informer un plus large public de la situation catastrophique de notre modèle agricole actuel, et des conditions de travail et de vie indignes de ces travailleurs migrants qui en découlent.
Vous êtes-vous inspiré de rencontres réelles pour façonner vos personnages ?
Oui, mes personnages sont issus de rencontres réelles. En quelque sortes, Issa, le personnage central de mon roman, est une mosaïque des personnes rencontrées lors de mes recherches en Italie et de leurs différentes trajectoires. Évidemment, le tout est romancé, concentré, pour inclure les personnages dans le contexte italien et ne pas perdre le lecteur dans trop de détails.
Comment pensez-vous possible de faire évoluer la situation que vous décrivez ? La voyez-vous bloquée ?
Malheureusement, la situation décrite est la conséquence indirecte d’un processus à beaucoup plus grande échelle, celui de la libéralisation et de la mondialisation de notre modèle agricole. Dès lors, il est très dur d’apporter des réponses sur du long terme à ces problèmes locaux si l’on ne s’attaque pas d’abord aux causes à l’origine. Les ONGs avec lesquelles je travaillais en Italie s’attelaient d’abord à apporter des réponses aux problématiques les plus urgentes, mais elles ne pouvaient rien faire sur le fond du problème. Pour débloquer cette situation, il faut un revirement dans les mentalités, dans le modèle agricole mais aussi dans les pratiques et les modes de consommation actuels. Cela passe par des réformes de fond au niveau national, européen, mais à notre échelle personnelle, on peut déjà commencer par des actions individuelles, comme par exemple, consommer local et équitable pour assurer des conditions de travail et des revenus décents aux producteurs et aux travailleurs agricoles. Consommer autrement est un acte politique.
Avez-vous envie de continuer à écrire de la fiction ? Ou d’autres projets ?
Oui, j’ai envie d’écrire, toujours sur des thématiques qui touchent au social, à l’humain, à la société. Quant à ce premier roman, mon rêve serait évidemment qu’il soit porté à l’écran pour informer un maximum de public sur cette problématique des dérives de notre système agricole.
La tarentelle noire : un roman pour illustrer l'exploitation illégale des migrants en Italie
Rescapé d’une traversée de la Méditerranée, réfugié en Italie dans l’espoir d’aider sa famille restée au Burkina-Faso, Issa attend la réponse à sa demande d’asile dans le centre d’accueil où il est hébergé. Pour lui comme pour les autres, l’échec n’est pas une option. Se voyant sombrer dans le désœuvrement, il part tenter sa chance à Naples : les rumeurs prétendent qu’on y trouve facilement du travail. Rapidement, il noue des relations, enchaîne les besognes et se retrouve confronté à la réalité de l’agriculture intensive et des conditions des travailleurs agricoles d’aujourd’hui – illégalité, précarité, exploitation et soumission aux mafias.
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