La littérature japonaise fascine comme le reste de la culture de ce pays à l’identité bien marquée. Suite à la parution de Et il neigeait sur le Japon puis de Komorebi, deux livres « japonais » de Roger Raynal, nous vous proposons de creuser un peu les sources d’inspiration de cet auteur passionné et qui a accepté de partager avec nous une petite synthèse de ses connaissances et références nippones.
La littérature Japonaise a ceci de particulier qu’elle est née d’une émanation particulière de la civilisation chinoise (entre le IVe et le VIIIe siècle) avant de s’en émanciper très rapidement, tirant partie du relatif isolement géographique et politique de l’archipel pour développer des formes particulières, telles des poèmes longs (Renga de douze à mille strophes) ou très brefs (Waka de cinq lignes, haïku de trois lignes).
Des œuvres fondatrices écrites par des femmes
La langue écrite japonaise et ses œuvres fondatrices ont la particularité d’être d’origine féminine. En effet, les études chinoises étant interdites aux femmes, les dames de l’aristocratie ont écrit leurs œuvres originales, qui ont fondé cette langue, en japonais, alors que les hommes recopiaient ou s’inspiraient exclusivement de poèmes chinois.
Ainsi, on peut citer deux femmes à la base de cette littérature, dont les œuvres ont traversé les siècles : le recueil des « notes sur l’oreiller » de Sei Shonagon et le grand roman « le dit du Genji » de Murasaki Shikibu.
La littérature japonaise restera aristocratique jusqu’au XIIe siècle, puis les luttes féodales feront la part belle aux récits héroïques. Le cycle épique des Taïra et des Minamoto, qui compte le dit des Heike, se déroulant dans la seconde moitié du XIIe siècle, a ainsi des accents homériques. Au début du XVIIe siècle, la période de paix instaurée par la famille Tokugawa permettra l’essor d’œuvres populaires se déroulant dans un cadre urbain.
Ouverture de l'archipel et enrichissement de la littérature japonaise
Alors que le Japon s’interdisait (à l’exception des comptoirs de Nagasaki) tout contact avec le monde extérieur, il est sommé de s’ouvrir aux navires étrangers, et à la culture occidentale, en 1868, ce qui amènera une profonde mutation de la société japonaise, dans tous les domaines, et, avec la découverte des œuvres occidentales, le développement d’une littérature originale mariant les thèmes traditionnels, avec leur vision inspirée du bouddhisme, du shintoïsme et des arts traditionnels, avec la culture occidentale.
Shösetsu : la nouvelle japonaise
L’Essor des mangas montre actuellement la vitalité de la production de BD nippone, mais cache aussi la variété de la production littéraire japonaise moderne qui a comme particularité d’être principalement constituée de nouvelles (shösetsu). C’est par ce genre littéraire que la plupart des écrivains japonais parviennent à être connus. Les revues de nouvelles, comme Bungakukai ou Gunzō, sont nombreuses au Japon et jouent un grand rôle dans la découverte de nouveaux auteurs depuis presque un siècle.
Diffusion de la littérature japonaise : le frein de la traduction
La littérature moderne japonaise est très imparfaitement connue en France. Un des écueils, et non le moindre, en est la difficulté de la traduction : peu d’œuvres ont été traduites, car la langue japonaise est assez différente du français : elle comporte deux temps seulement, voit coexister trois écritures, une absence de pluriels, d’articles, de genre, de nombres, et une grande importance des registres de langue.
Une traduction du japonais est donc en fait une interprétation demandant un talent très particulier. Notre connaissance des œuvres japonaises est donc liée à l’existence de traducteurs d’exception, à la fois intellectuels, lettrés et poètes, hissant l’interprétation des textes au rang d’un art. Citons par exemple l’extraordinaire René Sieffert, qui a traduit en un français que peu aujourd’hui peuvent apprécier les grandes œuvres classiques. Jean Jacques Origas, ou, actuellement, Alain Rocher et Corinne Atlan, traductrice de Murasaki, en sont les dignes représentants.
Quelques grands noms de la littérature japonaise
Dans l’histoire de la littérature japonaise, outre les poétesses Sei Shonagon et Murasaki Shikibu, je citerai :
- à l’époque Heian Dame Nijo, auteur d’un « journal », le Towazugatari, traduit en « journal d’une dame », et qui raconte les aventures galantes d’une dame de la très haute aristocratie à la cour impériale ;
- Natsume Sôseki, un auteur de l’ère Meiji, connu pour son célèbre récit « je suis en chat », décrivant la vie quotidienne de l’époque observée par des yeux félins.
Plus près de nous, trois auteurs majeurs :
- Mishima Yukio, romancier de la face sombre des sentiments ;
- Kawabata Yasunari (Nobel 1994), nouvelliste et spécialiste des portraits féminins ;
- Jun’ichirō Tanizaki, qui vécut la grande transformation du Japon avant et après guerre, romancier de toutes les formes du désir.
Parmi les auteurs contemporains traduits, je signalerai :
- Keigo Higashino, auteur de romans policiers très dépaysants où apparaît le prix Nobel de Physique Yukawa ;
- Ryôtarô Shiba, auteur des romans d’aventures historiques ;
- Ogawa Yoko, à la sensibilité particulière flirtant avec le fantastique, voire le surréalisme.
Quelqules œuvres incontournables pour découvrir la littérature japonaise
J’ai chroniqué et beaucoup apprécié les œuvres suivantes sur Littérature du soleil levant :
- Les notes de chevet, de Sei Shonagon
- Splendeurs et misères d’une favorite (Towazugatari), de dame Nijô
- Tristesse et beauté, de Kawabata, où l’histoire d’une vengeance féminine.
- La mer de la fertilité, de Mishima, tétralogie, poème d’amour et de mort d’un écrivain absolu.
- Quatre sœurs, de Tanizaki, décrivant les vies de quatre femmes de caractères très différents dans un Japon en proie à toutes les transformations.
Poèmes choisis
Les poèmes japonais sont les joyaux de l’instant. On les apprécie davantage en fonction de notre humeur du jour que par leur beauté intrinsèque. Ils sont, eux aussi, empreints de l’impermanence propre aux créations nipponnes.
L’encre frottée
Peut pénétrer dans la mer des larmes
Faites qu’au bout des flots
Je trouve un courant
Où le rencontrer !
(Dame Nijô, 11e siècle)
Pourchassées
les lucioles se cachent
dans les rayons de Lune
(Oshima Ryôta, 18e siècle)
Quand elle fond
la glace avec l’eau
se raccomode.
(Matsunaga Teitoku, 16e siècle)
Sur mes manches de blanche étoffe
En nous séparant
Tombe une rosée de larmes
Tandis que me pénètre de son souffle
Le vent pourpre de l’automne
(Fujiwara no Sadaie, 12e siècle)
Auteur contributeur
Roger Raynal
Site auteur Exobiologie.info/sitauteur Normand d’adoption, Roger Raynal est originaire du Sud-Ouest de la France. Scientifique, professeur de biologie et grand admirateur de la culture japonaise
Livres de Roger Raynal aux éditions de la Rémanence
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