Demain sera célébrée la Journée internationale des droits des femmes. Dans ce cadre, nous avons le plaisir de retranscrire ici un texte écrit et lu par notre auteure Christelle Angano l’année précédente, le 8 mars 2021.
À Yelena Osipova,
À toutes celles qui résistent, qui ont résisté et qui n’auront de cesse de le faire…
« Le féminisme est un humanisme, ce n’est pas une guerre de tranchées. »
Christiane Taubira
Qu’y a-t-il de commun entre une jeune Afghane, une précieuse du XVIIèe siècle, une vieille Tibétaine, mes aïeules et moi-même ?
Tout.
Et rien, à vrai dire.
Être une femme…
Il m’a fallu du temps pour comprendre l’importance du 8 mars. J’y voyais « la journée des femmes », celle du « attends chérie, je vais faire la vaisselle, c’est ta journée », celle du « voici des roses pour toi achetées ». J’ai fini par comprendre que ce n’était pas la journée de la femme, mais la Journée internationale des droits des femmes. La donnée est différente.
Je reprends donc ma question. Y’a-t-il des différences en ce qui concerne les droits d’une femme afghane, anglaise, française, tibétaine ou éthiopienne ?
Bien sûr que oui. Et cela fait mal.
Ainsi, je dois d’être la femme que je suis, que je suis devenue, que je n’en finis pas de devenir aux combats de mes aînées, mes « mères symboliques » pour reprendre la formule de l’historienne Marie-Jo Bonnet (La maternité symbolique, Albin Michel).
Je me souviens, adolescente, de mon émotion en prenant connaissance de l’histoire d’Olympe de Gouges et de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; femme éprise de justice et d’égalité, à en mourir puisque cela la mena à l’échafaud. Elle fait partie de ces femmes dont je me sens « redevable ». Elle n’est pas la seule. Si je peux m’exprimer aujourd’hui en tant que citoyenne, notamment à travers le vote, je n’oublie pas que c’est somme toute assez récent. Et si l’on doit au général de Gaulle de nous avoir accordé le droit de vote en 1944, comment oublier qu’au XIXe siècle, Louise Weiss se battait déjà pour que nous puissions être des citoyennes à part entière ?
Oui, j’aime toutes ces femmes qui ont permis que je sois aujourd’hui celle que je suis, qui se sont battues pour moi. Je pense aussi aux femmes de lettres, à Christine de Pizan qui déjà au XVe siècle avait choisi de prendre position contre les préjugés sexistes et que l’on considère comme la première femme ayant vécu de sa plume, je pense à Madame de Sévigné qui « profita » d’un veuvage précoce et d’une situation confortable pour donner à sa plume toute sa liberté, à George Sand qui n’a pas hésité à prendre un pseudonyme masculin pour écrire et vivre sa vie telle qu’elle la souhaitait : libre.
Je pense à toutes ces femmes, et je sens au fond de moi, que je leur dois beaucoup. Ce petit texte est pour elles.
À cet héritage historique s’ajoute un héritage familial. Une grand-mère qui n’a eu de cesse de me pousser à « étudier pour avoir un travail et être indépendante », à mon arrière-grand-mère, morte à Ravensbrück pour avoir résisté¹. Elles sont toujours là, près de moi et n’en finissent pas de m’inspirer.
Une « femme-puzzle »… C’est ainsi que j’aime me définir. Mes aïeules et de toutes les femmes qui ont agi et vécu avant moi font partie des pièces qui me constituent, comme l’éducation que mes parents m’ont donnée, l’école et les enseignants qui m’ont amenée à la pensée, les voyages que j’ai eu la chance de faire, l’Éthiopie qui m’a tant appris, mes amours, mes amitiés, mes maternités, mes chagrins, mes colères, mon choix d’enseigner, celui d’écrire. Chaque femme partage les pièces de son puzzle avec les autres, et possède les siennes. Il n’y a pas de règle.
Ainsi, la maternité…Faudrait-il être mère pour être femme ? Certainement pas, contrairement à ce que certain(e)s semblent penser. Ce qui est essentiel, ce qui est fondamental, c’est d’avoir le choix. Choix d’être mère ou de ne l’être pas.
Oui, à bien y réfléchir, cette notion de choix m’apparaît comme la clé de voûte, de la construction d’une personne. Que l’on soit femme ou homme.
Ce sont les combats de mes aîné(e)s qui ont permis que mes maternités soient désirées. Merci donc à la loi Neuwisth (Lucien, de son prénom) qui, en 1967, a permis aux femmes d’avoir recours à la contraception, et à Simone Veil et, ne l’oublions pas, à Valéry Giscard d’Estaing qui en 1975, ont permis que l’on puisse interrompre une grossesse non désirée.
Oui, la femme que je suis aujourd’hui est la somme de ces revendications. Et je sais gré à toutes celles qui se sont battues pour cela. Pour autant, je ne dois pas oublier que toutes les femmes n’ont pas ma chance, notre chance d’être nées dans un pays qui n’en finit pas de militer pour que les petites filles disposent des mêmes droits que leurs frères.
Cela n’est pas terminé. je n’en ai pas fini avec mes engagements, mes colères, mes rires, mes bonheurs et mes chagrins. Le chemin est encore long et les embûches réelles quand pense à toutes celles, ici ou là, qui n’en finissent pas de crier, ou de se taire, muselées.
Christelle Angano
8 mars 2021
¹ Christelle Angano a choisi de mettre à l’honneur les femmes qui luttent dans ses ouvrages. Avec Une Lumière dans la nuit, elle rend hommage à son arrière grand mère Clara Mathews Chompton, résistante arrêtée et déportée à Ravensbrück d’où elle n’est pas revenue, elle prêtera également sa plume à Nina Fédoniuk Michel, avec laquelle elle écrira Mémoire de Babouchka, qui retrace la déportation de cette dernière. Enfin, dans son roman Les fleurs du lac, elle rend hommage à celles qui luttent encore et toujours contre l’excision.
Laisser un commentaire