Habité par son personnage depuis cinq minutes qu’il est en scène, il s’est efforcé de ne pas chercher Lolita dans la demi-pénombre de la salle. Mais en saluant rapidement à la fin de cette seconde chanson, il rencontre le regard vert mouillé qui le braque, comme un coup de projecteur en pleine figure. Il a la lumière de la reconnaissance, de l’admiration, autre chose aussi. Elle est conquise par sa prestation, ça, c’est sûr, et il s’étonne luimême d’en être bouleversé. Marius entend les applaudissements, distingue les sourires sur les visages, mais rien ne le touche comme cette larme silencieuse qu’elle laisse couler tout en le regardant fixement, sans chercher à baisser pudiquement les yeux. On peut être fier de son émotion et la montrer : c’est une richesse, un trésor que l’on offre à celui qui l’a fait naître.
Marius se trouve très en beauté ce soir. Dans sa loge, où la voix lointaine qui est en scène entre par bribes, il attend sereinement son tour en se contemplant dans le miroir. Il a croisé ses longues jambes parfaitement épilées sous le bas couleur chair, façon femme fatale. Elles apparaissent à demi par la fente de sa robe blanche. Ce soir, il a ajouté des boucles d’oreilles qui pendent lourdement comme un lustre doré au-dessus de ses épaules nues. Aucune trace d’excès, d’alcool festif, de nuit de chair, de stress, n’est venue fatiguer le maquillage de l’artiste : la vie calme et sédentaire et la paix qui l’a envahi depuis quelques semaines agissent comme un baume sur son visage, qui n’a guère besoin d’artifices pour donner l’impression d’une jeunesse qui s’avance lentement sur le chemin de la maturité, celui dont on aime les petites empreintes de pas du temps, les rides qui courent autour des lèvres avec le sourire et qui ne s’échappent plus avec lui, les deux ou trois qui restent au coin des yeux. C’est tellement mieux qu’un visage lisse, qui ne dit rien parce qu’il n’a rien vécu.
Alors, les membres se déploient lentement en étoiles dans un mouvement lent et plein de grâce qui porte en lui la lumière. Les corps, couverts d’un maillot couleur chair, sont d’une merveilleuse nudité à la symbolique virginale, et les visages soudain dévoilés marquent le spectateur par les maquillages très travaillés qui créent autour des yeux des ailes de papillons colorées de bleu, rose et or parfaitement identiques chez l’homme et la femme à la gémellité troublante. La lumière blanche ne suit que la danse sensuelle qu’engage le couple dont les membres se cambrent tels des roseaux sans jamais se rompre, image fragile et forte de la nature et de l’amour. Dans leurs dos, des tatouages éphémères semblables aux ailes du visage, qui les rattachent à la famille des papillons et à celle des anges. Deux trapèzes descendent du ciel : les beaux insectes qui ont voleté près du sol prennent leur envol, virevoltent là-haut dans la lumière, libres.
Transformiste, chanteur, magicien, Marius est un artiste aux multiples talents. Le voilà de retour dans la ville de son enfance après vingt ans d’absence, vingt années de fuite. Il retrouve le cabaret qu’il aimait tant, mais qu’il avait dû abandonner dans des circonstances troubles. Il y a rencontre la jeune Lola, qui l’attire et ne semble pas indifférente à son charme. Il devra élucider l’origine de leur évidente complicité en se confrontant à son passé, tout en ombres et lumières. L’Art sous toutes ses formes aura un rôle essentiel à jouer.
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