Je pensais que tout avait déjà été dit sur tout, alors à quoi bon.
Aujourd’hui, nous vous proposons de faire connaissance avec Philippe Godet dont nous venons d’éditer le quatrième roman, À bancs donnés, après Devant le seuil. Deux romans qui ont pour point commun de raconter des moments tristes, mais d’une manière poétique et positive. La vie est dure, la vie est belle… Rencontre.
Philippe, quatre romans dont deux primés… Depuis combien de temps écrivez-vous ?
Si je vous dis que j’écris depuis toujours, ce sera faux. À moins que cela soit juste ? Dans ma jeunesse j’écrivais de la poésie. J’écrivais sur n’importe quel support : en marge d’une feuille de cours, sur un buvard, un ticket de métro, n’importe quel morceau de papier qui me tombait sous la main. Sauf un livre, bien sûr, j’ai un grand respect pour le livre. Je recopiais soigneusement ce que j’avais écrit dans la journée dans des cahiers à spirale ou dans des cahiers à dessin, dont je trouvais le papier agréable à noircir. Ces cahiers gisent quelque part dans ma maison. Je n’ai pas songé à les relire depuis des décennies. Peut-être l’exercice me décevrait-il… Il s’est écoulé une vingtaine d’années entre le dernier poème et le retour à l’écriture : la rencontre, le mariage, les enfants… Je présume que pendant ce laps de temps je n’éprouvais pas le besoin de traduire en mots mes émotions. Car l’écriture c’est bien cela, n’est-ce pas, dire ses émotions ? Puis, vers les trente-cinq ans, j’ai eu envie de m’y remettre, et de me lancer dans un travail plus construit, sur la durée, alors le roman. Un premier qui n’a jamais été imprimé, qu’il faudrait que je reprenne, un jour peut-être, en élaguant ce qui est trop personnel. Ou pas. Au départ je n’avais pas l’idée de me faire publier. Je pensais que tout avait déjà été dit sur tout, alors à quoi bon. Et puis le jour où j’ai apposé un point final à mon texte, je me suis dit pourquoi pas, puisqu’après tout ma manière de dire les choses m’était bien personnelle, voire originale, allez savoir.
Mes thèmes privilégiés sont là : les événements de la vie, principalement les événements douloureux, qui génèrent des sentiments violents ayant besoin d’être canalisés par les mots.
Avez-vous une démarche d’écriture particulière ? Des thèmes privilégiés ?
Lorsque je me suis lancé dans la rédaction de mon premier roman, celui qui est resté dans un carton, je venais de participer à une semaine de stage d’entreprise qu’on pourrait assimiler à un atelier d’écriture. À une époque on avait droit à des formations intéressantes, sans relation directe avec le travail au quotidien. Nous étions une douzaine de participants. Chacun lisait sa production à haute voix. Le dernier jour nous avions carte blanche pour produire ce que nous voulions. J’ai été confronté à des textes d’une force incroyable, bouleversante, chacun de nous puisait au plus profond de lui, exprimait des émotions puissantes. Je crois que voila le véritable déclencheur, comme une révélation. Pour écrire il faut avoir une raison, il faut avoir quelque chose à dire, il faut avoir à ex-primer, à extirper de soi un trop plein d’émotions. Du coup mes thèmes privilégiés sont là : les événements de la vie, principalement les événements douloureux, qui génèrent des sentiments violents ayant besoin d’être canalisés par les mots. C’est ma démarche personnelle d’auteur, d’autres vont aller puiser ailleurs.
J’accorde une grande importance aux lieux. Pascale, mon héroïne, est « une femme à kilomètres », moi je suis « un auteur à lieux » ! J’aime évoquer les endroits que je connais, qui me sont plus ou moins familiers, qui me sont chers en tous cas, ce peut être ma maison, celle de mes parents, des lieux de vacances, des paysages vus sur la route… La route est importante aussi. Mes personnages sont mobiles, sans doute parce que je le suis aussi. Je m’applique toujours à nommer les lieux. On peut presque toujours les trouver sur une carte. Je dis bien, presque (on ne trouvera pas Batschwiller, car c’est le nom alsacien d’un village nommé différemment) ! Je me souviens d’une étrange déception lors de la lecture de La Gueuse, de Jean-Pierre Chabrol : je connaissais le territoire qu’il décrivait, mais impossible de trouver les villages, les mines, les montagnes sur la carte Michelin ; les noms étaient faux bien sûr.
Je ne crois pas avoir des habitudes d’écriture. J’écris quand j’ai le temps, par petites touches. Il ne faut pas me passer de commande, hein, du moins pas m’imposer de délais ! Il y a toujours un moment, lorsque le travail est déjà bien avancé, où j’ai l’impression que le texte s’emballe, m’échappe un peu, devient presque sauvage, poétique. Je sais que je touche au but, mais alors il faut reprendre le début, lui donner le même élan. Relire, corriger, élaguer, relire encore. Ça prend du temps.
Le livre, c’est comme un tableau moderne, on trace de grands traits au couteau, et on fignole ensuite
Dans À bancs donnés, vous avez choisi un point de vue narratif osé, pas simple à manier ni à lire, pourquoi ? N’avez-vous pas redouté que cela déstabilise vos futurs lecteurs ?
Vous voulez parler de la narration à la deuxième personne ? Je ne sais pas si le procédé est osé ou audacieux. Il m’est venu comme ça, comme une illumination au beau milieu de l’histoire. En fait, dans une version précédente, j’ai voulu donner la parole au personnage que l’héroïne part rechercher. Et puis ce personnage est demeuré absent, mais j’ai gardé le « tu ». Disons que ce point de vue n’est pas fréquent. J’ai l’habitude d’écrire plutôt à la première personne, ce que j’ai conservé pour les dérapages intimes de Pascale. Employer le « tu » permettait de mettre de la distance par rapport à un sujet qui me touchait de près. Est-ce que tout cela est susceptible de déstabiliser les lecteurs ? Je n’ai pas réfléchi à la question. Le livre, c’est comme un tableau moderne, on trace de grands traits au couteau, et on fignole ensuite, mais je ne pense pas qu’un artiste ait à se préoccuper des éventuelles réactions du public, il crée selon son inspiration.
Qu’aimeriez-vous provoquer et/ou partager avec ce livre ? S’inscrit-il dans la continuité de vos précédents romans ?
Je ne me suis jamais posé la question de la continuité de mes romans. Ils viennent, voilà. Souvent, quand je me lance dans une nouvelle histoire, je me réfère aux personnages des livres précédents, peut-être pour leur prêter un visage, un passé, poser des jalons. Ainsi l’héroïne de À bancs donnés se prénomme Pascale, comme un personnage de Éblouissements, mon second roman ; certains lieux sont récurrents aussi.
Ce que je souhaite transmettre ? De l’émotion bien sûr. Si un lecteur me dit qu’il a pleuré à tel ou tel passage, je sais que j’aurai réussi quelque chose. Certaines de mes pages m’émeuvent au delà de toute raison lorsque je les relis, alors je me dis qu’un lecteur peut avoir la même réaction. Ceci dit je ne cherche pas à provoquer des larmes. Je sais que certains thèmes comme la maladie ou le deuil peuvent rebuter a priori, toutefois mon message est toujours un message d’optimisme ; je suis quelqu’un d’optimiste. Bien sûr les gens soufrent et meurent, les personnages des histoires aussi, mais ceux qui m’intéressent sont ceux qui restent, pour qui la vie continue, belle, ceux qui remercient la vie. Ce n’est pas un hasard si « merci » est le dernier mot de À bancs donnés !
Originaire de la région parisienne et après un bref passage dans le Jura, région de ses racines, Philippe Godet vit actuellement près de Poitiers. Retraité du Service public, marié et père de trois enfants, il partage son temps entre l’écriture, l’université, et la découverte du monde.
Laisser un commentaire