Mon bel orage

Héloïse Combes

Résumé

Rien ne semblait devoir arriver. Rien ne semblait pouvoir exister d’autre que ce brouhaha cotonneux des couloirs, ces bousculades adolescentes chaque heure à la porte d’une salle de classe qu’on quittait, chaque heure, pour une autre salle de classe où tout serait pareil : chaque heure le bruit de troupeau qui s’engouffre puis freine, dérapages de semelles en caoutchouc doublés de grincements de chaises, et ensuite l’ennui, la voix soporifique du prof, l’ennui, la craie blanche qui crisse sur le tableau vert sombre, l’ennui, le néon qui crépite toujours un peu, une gomme qui tombe, le vol métallique d’une punaise qui traverse la pièce et bute sur la vitre, un papier qu’on froisse, un rire étouffé, l’ennui… C’est arrivé pourtant. Dans le préfabriqué de tôle qui tenait lieu de salle de dessin à l’écart des grands bâtiments. Une brèche soudain dans le cœur lourd du géant noir.

Avis presse & lecteurs

« C’est sombre et lumineux à la fois, comme un orage flamboyant, comme un amour fauché… » La cause littéraire
« Une écriture éblouissante, poétique, qui ne vous lâche pas. » La rousse bouquine
« C’est un livre singulier, profond et beau, avec une force claire et obscure à la fois. Les ombres et les lumières y cohabitent, la beauté et la douleur aussi. Un livre qu’on lit comme on regarde l’orage, avec un mélange de crainte et de fascination. » Avis Babelio

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Extraits

Il portait un gilet de cuir un peu râpé par-dessus une grosse chemise à carreaux — dans les tons roses. Il me fixait, la tête légèrement penchée sur le côté. Il ne riait plus, en tout cas plus de ces accrocs sonores émanant de sa gorge, mais son amusement joyeux s’était mué en étincelles dans ses yeux bleus. Des éclats de soleil sur la mer. Des éclats de soleil, le beau, le vrai, celui de l’été scintillant sur les vaguelettes et le grand air en fond, et ces éclats me traversaient à travers ce regard. Le coeur, l’âme, le corps, transpercés, sans que je bouge, sans que je laisse deviner quoi que ce soit. Personne n’a vu. Sauf lui, un tressaillement dans mes yeux noirs, peut-être. Personne n’a vu sauf lui le choc provoqué par cette percée bleue qui trouait le ciel de novembre et déboulait en moi tel un rai de lumière qui fend l’obscurité, d’un coup.

Il ne m’avait encore jamais embrassée et ça aurait aussi bien pu ne pas arriver. L’année scolaire aurait continué son voyage sans surprise à travers la course du temps. La même course monotone que toutes les années scolaires. En juin j’aurais obtenu mon brevet et aurais quitté le collège. En septembre j’aurais intégré le lycée flambant neuf de la ville voisine. Nos destins se seraient disjoints. Disjoints sans vraiment avoir été joints, ou juste par un improbable fil de mystère qui ne tenait à rien. Nous ignorions tout l’un de l’autre, tout de nos vies dans le monde en dehors de ces instants secrets, et le monde en retour nous ignorait, nous et nos instants secrets. Mais soudain la course monotone s’était rythmée tantôt d’accélérations, tantôt de pauses en apesanteur comme dans un manège de foire. Brouillé, le temps. Chahutée, la course, le grand huit de la vie lancé à folle allure.

Je savais très bien que c’était impossible, que j’aurais tout perdu à formuler une telle demande. Cependant la douceur mauve dehors, l’éclosion de feuilles, certaines repliées comme des chrysalides aux branches des platanes, pas encore gracieuses mais si émouvantes, cette sensation de renouveau dans l’air ambiant… D’une voix mal assurée j’ai dit Paris, c’est Paris que je voudrais voir. Il a passé ses mains sur son gilet râpé, d’un geste qui ne signifiait rien sinon un manque de contenance. Il a soufflé bruyamment par le nez, s’est dandiné d’une jambe sur l’autre et j’ai su que j’avais gagné. J’ai bondi sur place, applaudi. Nous irions voir Paris. Voilà, c’était à peine croyable, mais c’était entendu. Gracq et moi, oui, l’ogre Gracq et moi, ce duo improbable, nous irions voir Paris.

Informations

Photo en couverture © Héloïse Combes
Coll. Regards, 2015 • Format 14.5×21 cm • 104 pages
Version imprimée 979-10-93552-30-9 • 14 euros
Version numérique 979-10-93552-32-3 • 4.99 euros